Retourner la terre fait partie des pratiques agraires ancestrales qui n’ont pas été contestées depuis plusieurs siècles. Le nouveau regard porté sur le sol par les adeptes de la culture biologique remettent de plus en plus fortement en cause cette tâche classique. Je vous propose de faire le point sans autre parti pris que mon expérience…
Faisant partie de ce que l’on nomme classiquement les « façons culturales », le labour est aussi appelé bêchage, lorsqu’il se pratique avec un outil à mains, à savoir une bêche ou un louchet. Au jardin d’amateur, le bêchage consiste à mettre sens dessus dessous la couche superficielle de terre sur une profondeur de 15 à 25 cm. Lors de ce travail, on enfouit les restes de végétation, on décompacte les particules du sol en les brisant, ce qui produit un ameublissement et une aération de la partie travaillée.
Un labour a pour vocation d’ameublir la terre, tout en débarrassant la surface des adventices annuelles ou vivaces en les enfouissant. En extrayant leurs rhizomes et leurs racines des profondeurs du sol, le labour facilite la lutte contre les végétaux envahissants, notamment les espèces traçantes : ronce, bambou, renouée, robinier, chiendent, liseron, orties, etc.
Un bon bêchage permet aussi de bien intégrer dans la couche arable les amendements et les engrais de fond. Notez toutefois que la matière organique enfouie trop profondément fermente et ne parvient pas se décomposer correctement.
Lors des différentes opérations d’entretien et de récolte, le jardinier a tendance à piétiner la terre qui se compacte et risque de provoquer l’asphyxie des racines. Le labour sert à remettre en état la couche superficielle du sol. Le labour joue un rôle naturel d’amendement, c’est-à-dire d’amélioration des caractéristiques physiques du sol. En effet, il allège les terres lourdes par un effet de décompactage et parvient à structurer les sols légers.
Le bêchage permet de rendre au sol une certaine souplesse en favorisant l’agrégation du complexe argilo-humique (association délicate et fertile d’argile et de matière organique stable). Le labour rend la fertilisation de fond (phosphore, potasse et oligo-éléments) plus efficace en permettant un enfouissement assez profond des engrais.
Une terre bien bêchée résiste mieux aux fortes pluies et peut mieux mettre en réserve les éléments fertilisants nécessaires aux végétaux. Un ameublissement profond permet à la terre de mieux absorber l’eau de pluie et de la stocker, et il favorise la pénétration des racines dans la terre, ce qui assure un ancrage plus solide des végétaux.
Classiquement, les opérations d’ameublissement sont effectuées chaque année et à l’occasion de toute nouvelle mise en culture sur une même parcelle.
Le labour d’automne (ou d’hiver hors période de gel), toujours plus profond que celui de printemps est réalisé sans briser les mottes. Il a pour but premier un décompactage et une aération en profondeur, effectués tout naturellement par les précipitations ainsi que par l’action du gel. Le labour d’automne sert également à enfouir les fumiers et les composts grossiers, ainsi que les engrais à libération très lente (type corne torréfiée) qui constituent une réserve nutritive. C’est aussi à l’occasion du labour d’automne que sont réalisés les amendements minéraux : sable grossier, chaux, argile, etc.
Le labour de printemps ou en préparation d’une culture, a surtout pour vocation d’obtenir une surface propre, bien plane, et prête à la culture, par le retournement régulier et la pulvérisation des mottes. Il n’est pas utile dans les terres souples et régulièrement travaillées. En revanche, il s’impose dans les terres lourdes pour réduire leur tendance asphyxiante.
Les toutes premières pratiques agricoles ont commencé par le travail du sol et son décompactage. Depuis plus de 10 000 ans, les agriculteurs retournent les sols, quelle que soit leur composition et les jardiniers ont calqué leurs pratiques sur les cultivateurs professionnels.
Les terres argileuses, froides, lourdes, mal drainées, sont celles qui bénéficient le plus d’un bon bêchage. Mais attention, elles sont difficiles à travailler par temps humide. En langage jardinier, nous les appelons d’ailleurs les « terres amoureuses », car elles collent à la bêche et aux bottes.
Comme elles se réchauffent rapidement, les terres calcaires, sont en général plus faciles à labourer. Elles ont besoin de cette façon culturale car elles nécessitent des amendements réguliers.
Les terres sablonneuses retenant mal les éléments fertilisants, du fait de leur structure poreuse, ils gagnent à ne pas être labourés, d’autant qu’ils ne se compactent pas. En revanche, ils ont besoin d’apports réguliers de matière organique qui doit être enfouie superficiellement.
Conseil pratique : les labours profonds (plus de 20 cm) ne sont vraiment utiles que dans les terres lourdes (argileuses) ou dans les sols qui n’ont pas été travaillés depuis longtemps.
Bêcher trop souvent la terre de son jardin entraîne une accélération de la décomposition des matières organiques et par conséquent une destruction plus rapide de la couche d’humus.
Le bêchage favorise la dissémination des plantes adventices vivaces envahissantes (liseron, chiendent, topinambour, oxalis, chardon, ronce, etc.). En retournant la terre, on fait aussi remonter vers la surface des graines de plantes sauvages annuelles (coquelicot, pâturin annuel, cardamine, etc.) qui étaient jusque là en sommeil végétatif (dormance).
Le labour bouleverse la microfaune qui évolue en majorité dans les couches superficielles du sol. Une grande quantité de micro-organismes qui se retrouvent enterrés profondément meurent, ce qui va à l’encontre du concept très actuel de « sol vivant ». En retournant le sol, on le met à nu ce qui favorise l’érosion, un phénomène beaucoup plus sensible en agriculture qu’au jardin il faut bien le dire. En supprimant la couche de végétation naturelle (ou le paillis organique dans le cas de la permaculture), on expose la surface aux agressions du climat (soleil brûlant, vent desséchant, pluie qui ravine), d’où une fragilisation potentielle des cultures ou l’obligation pour le jardinier d’intervenir plus et surtout d’arroser régulièrement.
Dans le jardin, un labour ordinaire d’entretien se pratique sur une profondeur de 12 à 25 cm environ selon la nature du sol. Le labour léger de printemps doit être limité entre 10 et 12 cm de profondeur.
Le labour profond sur 30 à 40 cm se pratique uniquement l’hiver, dans le but d’une remise en culture avec destruction de la végétation spontanée. Au-delà de 40 cm de profondeur, on parle de sous-solage, de fouillage ou de défoncement. Ce type d’intervention est exceptionnel, mais utile lorsqu’on rencontre un sous-sol dur et compact en plantant des arbres de grande taille. En décompactant les couches profondes, le sous-solage facilite considérablement l’enracinement.
Conseil pratique : travaillez superficiellement (20 cm maximum), vous économiserez des efforts et respecterez la couche vivante du sol. Et chaque fois que c’est possible, remplacez le bêchage par un griffage.
Les jardiniers bio-raisonnables ne refusent pas le labour, mais ils le pratiquent seulement à l’automne. En revanche, les adeptes de la biodynamie ou de la permaculture ne labourent jamais. La culture sans labour est une approche écologique surtout adaptée aux jardins potagers. Elle présente des avantages techniquement discutables.
Les opposants au labour considèrent qu’à long terme, le fait de retourner le sol est préjudiciable à la structure du sol, car il entraîne une perte d’eau et de matière organique, sans oublier qu’il dérange le travail bénéfique des vers de terre. Dans cet esprit, les jardiniers qui ne labourent pas s’opposent à toute fertilisation de fond.
L’argument selon lequel le labour fait remonter les couches profondes et infertiles du sol en surface au détriment de la partie la plus riche, ne tient pas dans le cas du bêchage. En effet, dans un terrain bien amendé et travaillé la couche arable mesure entre 20 et 30 cm. On ne retourne donc que la partie régulièrement cultivée. En revanche, ce n’est pas le cas des labours agricoles avec de grosses charrues.
Il en est de même pour la théorie de « l’inversion des horizons aérobies et anaérobies ». S’il est vrai que les micro-organismes du sol peuvent être divisés en deux grands groupes : ceux qui vivent en présence d’oxygène (les aérobies) et ceux qui s’en passent (les anaérobies), il faut savoir que les plus intéressants pour les plantes et le jardin sont aérobies et que très rares sont dans le sol les anaérobies stricts (qui meurent en présence d’oxygène).
Le principal avantage est le respect de la structure initiale du jardin. Ainsi, les nombreux organismes du sol prospèrent mieux et sont théoriquement plus actifs dans les conditions stables d’une terre non dérangée. En maintenant une litière organique (compost, feuilles broyées, BRF, paille hachée, coques de cacao, paillettes de chanvre, etc.) permanente, on crée des conditions favorables à la prolifération des champignons et des vers qui assurent la transformation en humus.
Sans retournement, un sol a besoin de plus de temps pour gagner en fertilité. Avec cette pratique, il est difficile d’améliorer les sols pauvres. Par ailleurs, la lutte mécanique contre certains ravageurs (vers du sol surtout) est rendue impossible.
Le principal problème est l’impossibilité d’incorporer correctement au sol des amendements organiques. En effet, même après fauchage, puis broyage, il est impossible d’enfouir sans labourer, les déchets végétaux, le compost ou les engrais verts.
Le monde vivant étant basé sur la notion d’équilibre, il semble préférable d’adopter les principes d’un jardinage « raisonné » consistant à associer les avantages des deux techniques, à savoir, pour le potager, enfouir des engrais verts et des amendements en automne, puis préparer superficiellement le sol et maintenir en place un paillis organique durant toute la période de végétation.
Le plus connu est la « Grelinette », inventée en 1963 par André Grelin, et qui reste une marque. Il s’agit d’une sorte de fourche large munie de deux manches que l’on actionne selon le principe du levier. Outre le fait que la Grelinette décompacte et aère la terre sans la retourner, elle travaille sur une largeur double (40 à 50 cm) de celle d’une bêche, ce qui fait gagner à la fois du temps et des efforts.
La Grelinette a fait des émules et l’on trouve dans le commerce des outils similaires sous diverses appellations : aérabêche, actibêche, aérofourche, biobêche, biogriff, bioculteur, biofourche, fourche écologique, griffe à bêcher, bêche aératrice, etc.
Pour découvrir le maniement de cet outil, visionnez la vidéo ci-dessous…
Comme on ne soulève pas de terre avec la Grelinette. L’effort au travail est réduit dans des proportions très importantes et le dos relativement préservé. En revanche, l’outil est beaucoup plus lourd et nettement plus cher qu’une bêche. Il existe des modèles à trois dents plus légers, qui séduiront les jardinières et les personnes âgées.
Sur le plan de la finesse du travail, de la précision, de la possibilité de nettoyage et même du rendu, rien ne remplace le travail du jardinier avec sa bêche ou sa fourche-bêche. Toutefois, dès que l’on doit intervenir sur une superficie supérieure à 200 m, il est raisonnable d’envisager l’utilisation d’outils mécaniques appropriés. C’est aussi le cas pour toute personne qui présente une forme physique précaire.
Le défaut du travail mécanique, c’est que la fraise pulvérise les racines au lieu des les extirper, ce qui pour certaines plantes envahissantes a pour effet de les multiplier à profusion. Le brassage important et violent de la couche arable est considéré par les jardinier « bio » comme une véritable destruction du potentiel vivant, notamment les vers de terre qui sont « taillés en pièces » par la machine, mais les lombrics possèdent d’étonnantes capacités de régénération.
On constate aussi après plusieurs passages d’une charrue ou d’une fraise un tassement de la partie profonde sur laquelle vient reposer l’outil, ce qui entraîne la formation d’une couche imperméable : la sole.
Les labours manuels doivent être réalisés par temps agréable, avec des outils propres, bien affûtés, et surtout bien adaptés à la morphologie de chacun.