Pionnière de l’architecture durable, Françoise-Hélène Jourda n’est pas une architecte comme les autres. Auteur du «Petit Manuel de la Conception Durable» Elle fait le point avec Système D sur l’habitat durable et les énergies renouvelables.
Est-il possible de vivre dans des maisons, ou des appartements, qui respectent vraiment notre environnement ?Il est aujourd’hui possible de construire des bâtiments avec un impact très faible sur la planète. Nous en avons les moyens. Il suffit de les mettre en œuvre avec ambition, en combinant les outils. Mais il faut aussi réparer nos villes, « soigner » nos lieux de vie, rétablir les équilibres. Il existe de nombreuses solutions techniques disponibles et quantité d’expérimentations sont en cours. On peut déjà faire autrement, à la campagne comme à la ville, dans des habitats fonctionnels et très agréables à vivre. Il suffit de « faire » et d’enseigner le « comment faire ». La pédagogie est primordiale dans le changement des mentalités.
Est-ce rentable d’investir dans une construction ou une rénovation écologique ?À long terme, bien sûr. Très vite, la facture énergétique diminue considérablement. Grâce à l’installation de panneaux solaires, d’un système de chauffage écologique, notre consommation énergétique annuelle peut passer de 240 à 40 kW/h/m2. Ce sont des investissements importants mais avantageux à long terme, puisqu’on prévoit que le prix de l’énergie augmentera de 30 % dans les années à venir. On rentabilise ces équipements sur une douzaine d’années. Si la maison produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme, Edf rachète l’électricité à un tarif deux à trois fois supérieur au prix où vous l’achetez.
Le problème est souvent la différence entre un locataire et un propriétaire. Ce dernier va plus facilement investir dans des matériaux et des technologies vertes puisqu’il regarde son porte-monnaie à long terme. C’est pour cela que des incitations fiscales existent afin d’inciter ces propriétaires à investir dans des appartements ou des maison qu’ils louent.
Combien de temps peut-il s’écouler entre le projet de construction et sa concrétisation ?Il se passe environ six ans entre la décision de construire et le moment où les utilisateurs prennent possession des locaux. Mais tout dépend de la taille du projet, cela peut être plus long ou plus rapide.
L’habitation durable oblige t-elle à sacrifier l’esthétique ?Sacrifier l’esthétique, non. Mais cela ne veut pas dire respecter les tendances. La mode de la transparence à tout prix dans les années 1990, ou celle des objets déconstruits et éclatés en 2000, par exemple, ne peuvent plus représenter l’esthétique d’aujourd’hui. On les remplace par des choses plus sages, beaucoup plus confortables, qui respectent plus l’usager, le vivant.
Dans l’habitat d’aujourd’hui, la question de la qualité de vie et du rapport à l’environnement domine la question de l’esthétique, de la mode ou du profit. L’écologie ne doit pas être vue comme une contrainte mais comme une nouvelle culture architecturale, où la maison devient un cocon de bien-être.
Le minimum est le bâtiment basse consommation (BBC), selon les normes qui seront mises en place en 2012, puis 2020. Mais je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin aujourd’hui. La question de l’énergie n’est pas seulement celle de l’énergie consommée par le bâtiment en lui-même, mais celle nécessaire à toutes les étapes de sa construction.
C’est ce qu’on appelle l’énergie grise : pour fabriquer les matériaux, pour laminer l’acier, en faire des panneaux, les amener sur le chantier… Elle représente à peu près un tiers de l’énergie globale consommée pour un bâtiment. Il faut donc construire autrement, avec d’autres matériaux, pour vraiment préserver notre planète. Tout le processus de construction doit être repensé, il ne s’agit pas seulement de trouver des énergies de substitution.
L’habitat est-il « malade », à l’instar des villes ?Oui, car il constitue la ville. Comme elle, il faut le réparer, il faut le soigner comme un corps malade. C’est l’ensemble de ce corps que l’on doit considérer. La question énergétique, mais aussi celle du confort et de la santé. Il faut donc travailler sur qualité de l’air, son renouvellement dans les différentes pièces. La ventilation de nuit est une bonne solution pour permettre à l’air de circuler.
Il est important de faire des évaluations, comme le diagnostic plomb par exemple. Il faut aussi penser à la peau du bâtiment, à son enveloppe, en créant un manteau qui le protège des intempéries, du froid comme du chaud… La question du confort thermique devient en effet cruciale alors que la population vieillissante éprouve de plus en plus de difficultés à s’adapter aux températures extérieures. L’isolation extérieure pour protéger le bâti et ses habitants est aujourd’hui la meilleure solution. Elle permet l’accumulation de chaleur en hiver et garde au frais en été. Certains bâtiments ne peuvent cependant pas être isolés de l’extérieur, comme les immeubles haussmanniens.
Selon vous, est-il préférable de rénover ou de détruire l’habitat pour mieux le reconstruire ?Aujourd’hui, seuls 4 % des bâtiments sont de bonne qualité d’un point de vue environnemental. L’essentiel du problème concerne les logements construits depuis les années 1960. Mais c’est une formidable occasion de les requalifier architecturalement, de leur donner une nouvelle valeur. L’argument de protection du patrimoine architectural et historique n’est valable que pour une faible minorité des bâtiments français.
Que conseillez-vous à ceux qui souhaitent rendre leur maison plus respectueuse de l’environnement, en terme d’isolation notamment ?Il y a beaucoup de littérature sur le sujet… De manière générale, il est préférable que l’isolation d’un bâtiment procède d’un ordre bien spécifique : les ouvertures en premier lieu – les fenêtres puis les portes. Il ne faut surtout pas mettre de triple vitrage sur les baies vitrées en façade sud et ouest, mais du double ou simple vitrage, pour profiter de la chaleur naturelle du soleil.
Au nord et à l’est, on peut installer du triple vitrage, et surtout des fenêtres à rupture de pont thermique. La toiture ensuite, puis la façade, doivent être isolées. Enfin, le système de chauffage de l’air et de l’eau doit être changé. Ajouter des panneaux solaires photovoltaïques permet de couvrir 40 à 50 % des besoins en production d’eau chaude sanitaire.
Quels sont les matériaux écologiques d’aujourd’hui, les tendances ?Il faut utiliser des matériaux renouvelables, qui plus est sains et confortables. Le bois par exemple, massif ou contreplaqué. Pour isoler, on peut utiliser des laines animales, des fibres végétales comme la paille, de la laine de chanvre, des plumes de canard, ou encore des déchets de cellulose, qui ne sont rien d’autres que de petits morceaux de papier coupé. Attention cependant à toujours utiliser des produits agréés. Dans la mesure où ce sont des matériaux certifiés (Acermi, Acotherm…), ils sont garantis.
Que pensez-vous des toitures et murs végétalisés ?Ils n’ont pas vraiment d’effets sur la consommation énergétique, car il faut isoler de toute manière. La couche de terre et de végétaux n’est pas suffisante, loin de là. Trente centimètres de terre équivalent à trois centimètres d’isolant.
Et la terre alourdit la toiture, qui doit être renforcée. Les végétaux ont cependant l’avantage d’éviter les surchauffes et les chocs thermiques sur les toitures et les façades, et aussi d’absorber les eaux de pluie. Cette dernière fonction est très utile dans les villes qui souffrent de sécheresse, d’un manque d’humidité de l’air qui est l’une des causes du développement de l’asthme en zone urbaine. Les plantes absorbent aussi le dioxyde de carbone et améliorent l’esthétique.
Vous parlez essentiellement des villes. Croyez-vous au retour à la campagne ?Dans les quinze années à venir, 80 % de la population planétaire sera urbaine. Mais ce mouvement ne s’opérera pas forcément à l’échelle « locale ». En Europe, il faut arrêter le développement des mégapoles comme Paris ou Londres car on va bientôt se retrouver dans l’incapacité de gérer ces villes.
Les problèmes de transport notamment, des marchandises et des hommes, nous amènent à développer des villes plus petites. Une ville comprenant entre un et deux millions d’habitants est de taille optimale. Elle permet une qualité de vie et la proximité avec les espaces naturels fournisseurs de denrées alimentaires.
Croyez-vous que nous sommes prêts à entrer dans l’ère de l’habitat écologique ?Je crois qu’il y a un désir de vivre autrement de la part de tous. Je constate une évolution depuis quelques années : une très forte volonté des investisseurs, des clients, des promoteurs. Les villes deviennent insupportables. En dehors de la crise globale des ressources ou du problème des gaz à effet de serre, il y a un mal-vivre, un air saturé par la pollution et une insuffisance d’espaces verts.
Chacun essaie de se réfugier dans son petit pavillon à la campagne. Mais cela peut avec des conséquences catastrophiques, notamment une grande quantité de CO2 rejeté dans l’atmosphère du fait de longs temps de transport. Internet et le travail à distance peuvent permettre une vraie révolution à ce niveau. Les gens sont prêts à vivre à l’heure écologique. Et l’on ne reviendra pas en arrière. C’est très positif. En revanche, il est urgent de faire de la pédagogie car les gens sont perdus entre les différentes invectives, les publicités qui peuvent être trompeuses…
L’engouement pour l’habitat écologique peut-il avoir des effets pervers ?Le phénomène de « greenwashing » (ou écoblanchiment, pratique commerciale utilisant l’argument environnemental, parfois de façon mensongère, Ndlr), s’il a de mauvais côté, contribue à la sensibilisation du public au problème de développement durable à tous les niveaux. Je suis optimiste pour l’avenir. La responsabilité personnelle est capitale. Il ne faut pas faire confiance aveuglément à des artisans, des ouvriers, des architectes. Il est primordial que chacun prenne ses responsabilités par rapport à son désir de vie, son budget, son éthique personnelle.
Architecte diplômée en 1979, Françoise-Hélène Jourda exerce son activité au sein de son agence éponyme à Paris. Elle occupe depuis 1999 la chaire d’architecture durable à l’Université technique de Vienne (Autriche), et a conçu de nombreux projets collectifs et résidentiels en France et en Europe.
ce petit guide du développement durable a pour objectif d'accompagner tout projet de construction. Il répond à une série de questions à se poser dès le choix du site et tout au long du processus de conception.
" Petit manuel de la conception durable" par Françoise-Hélène Jourda. Archibook+Sautereau éditeur. 90 pages. 13,90 €